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Qu’est-ce que les archives historiques? Définitions et théorie des quatre-quarts

Publié par Marie-Anne Chabin, 24 avril 2013
Il n’existe pas de définition légale des archives historiques
La loi française définit les archives comme « l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité » (code du patrimoine , article L211).
La loi ne définit pas les archives historiques mais laisse entendre ce qu’elles sont dans les derniers mots de l’alinéa qui suit la définition : « La conservation des archives est organisée dans l’intérêt public tant pour les besoins de la gestion et de la justification des droits des personnes physiques ou morales, publiques ou privées, que pour la documentation historique de la recherche ». On peut en déduire une définition des archives historiques liée à leur fonction, leur usage, à savoir servir de sources documentaires aux chercheurs. On serait tenté d’ajouter : « quand la recherche porte sur les choses du passé, récent ou ancien » mais ce serait réducteur car on peut tout à fait utiliser les archives historiques pour étudier le présent ou l’avenir (je dirais même que c’est recommandé…).
Par ailleurs, le code du patrimoine décrit plus précisément un des modes d’entrée dans les archives historiques. C’est le « classement parmi les archives historiques » par analogie avec le classement parmi les monuments historiques institué par Mérimée au XIXe siècle (article L212-15). Ce classement ne concerne toutefois que des archives privées dont l’autorité administrative estimerait a) qu’elles « présentent pour des raisons historiques un intérêt public », et b) que l’attitude de leur propriétaire les met en danger de destruction ou de sortie du territoire français.
Sur la question de savoir à partir de quand des archives sont historiques, s’il y a un âge pour les archives, un délai pour bénéficier de ce qualificatif ou le revendiquer, la réglementation est peu explicite. Qu’est-ce qui est historique dans ce domaine ? Les archives qui ont plus de cent ans ? Sans doute. Les archives qui ont plus de cinquante ans ? Plus de dix ans ? Plus d’un an ?…
Dans la réglementation française, le facteur temps n’entre pas dans la définition ; seul l’intérêt des documents compte. Divers textes d’application de la loi évoquent toutefois le moment charnière où les archives (telles que définies ci-dessus) « font l’objet d’une sélection pour séparer les documents à conserver des documents dépourvus d’utilité administrative ou d’intérêt historique ou scientifique, destinés à l’élimination ». Les archives retenues par cette sélection constituent les archives historiques, quel que soit le moment où cette sélection intervient, en général « à l’expiration de leur période d’utilisation courante », expression assez floue elle-même quant à l’âge des documents concernés. On peut constater sur le terrain que cette affirmation réglementaire (le texte dit : les archives « font » l’objet d’une sélection et non « doivent faire l’objet ») n’est pas rigoureusement observée.
Le chapitre du code du patrimoine relatif au régime de communication des archives publiques (article L213) définit les différents délais au-delà desquels les archives sont communicables. Ces délais, outre la communicabilité immédiate, s’étende de 25 à 100 ans mais le terme « archives historiques » n’est pas utilisé dans ce chapitre ; on en déduit que les délais s’appliquent également à des documents qui auraient une valeur administrative mais pas de valeur historique, ce qui se conçoit.
Le Dictionnaire de terminologie archivistique, élaboré en 2002 par la direction des Archives de France ne va pas plus loin dans sa double définition de l’expression « Archives historiques » :
http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/static/3226

Documents conservés ou à conserver sans limitation de durée pour la documentation historique de la recherche.
Archives privées ayant fait l’objet d’une mesure de classement par arrêté du ministre chargé de la culture.

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Pour la première définition, le dictionnaire renvoie à l’expression « Archives définitives » qui recouvrent l’ensemble des documents conservés à l’issu d’un tri, que ce soit « pour les besoins de la gestion et de la justification des droits des personnes physiques ou morales, publiques ou privées » ou « pour la documentation historique de la recherche ».
On relève cependant que « archives historiques » est un concept plus large car il englobe non seulement les documents « conservés » mais aussi les documents « à conserver », ce qui renvoie bien à l’intérêt que présentent les documents, traités ou pas.
Les règlements européens
En 1983 puis en 2003, le Conseil de l’Union européenne arrête un règlement relatif à l’ouverture au public des archives historiques de la Communauté économique européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique. Ce règlement est particulièrement  intéressant car il associe à la définition d’archives historiques la notion de temps.
Dès le premier article, le texte dit que les institutions européennes doivent établir des archives historiques et qu’elles doivent les rendre accessibles après trente ans à compter de la production des documents.
L’article précise : « les termes « archives historiques » désignent la partie des archives des Communautés européennes qui a été sélectionnée, dans les conditions prévues à l’article 7 du présent règlement, pour une conservation permanente ».
L’article 7 introduit un nouveau critère temporel dans le processus de constitution des archives historiques : « Quinze ans au plus tard après leur production, chaque institution transmet à ses archives historiques tous les documents contenus dans ses archives courantes. Selon des critères à établir par chaque institution en vertu de l’article 9, ces documents font ensuite l’objet d’un tri destiné à séparer ceux qui doivent être conservés de ceux qui sont dépourvus de tout intérêt administratif ou historique ».
Le tri dont résulteront les archives historiques intervient « au plus tard » entre l’âge de quinze ans et l’âge de trente ans. On peut en déduire que les archives historiques sont a minima les archives de plus de trente ans, et que le statut d’archives historiques s’acquiert à cette date ou à l’âge de 15 ans voire avant.
L’accessibilité des archives au public, dont la règle générale est de trente ans, connaît aussi des exceptions pour des raisons de protection de la vie privée, des intérêts commerciaux et des procédures juridictionnelles. À noter que l’accessibilité n’intervient pas dans la définition des archives historiques. Elle intervient dans leur gestion et leur utilisation.
Ce qui est nouveau dans ce règlement est la date butoir de versement au fonds des archives historiques des documents de plus de quinze ans, avec les quinze années de plus pour effectuer le tri, avant cette seconde date butoir de trente ans qui correspond à la mise à disposition du public.
Pour qui connaît les tris d’archives, ce texte est ambitieux. Il y a là une obligation de résultat qui interroge sur les moyens à mettre en œuvre, mais aussi sur la méthode de tri.
L’article 9 du règlement, qui fait obligation aux institutions de « publier annuellement une information concernant ses activités en matière d’archives historiques » est également assez nouveau et contraignant au regard des pratiques existantes d’une manière générale (en dehors des institutions européennes). Le fait de devoir communiquer, un tant soit peu sur le fonds d’archives historiques oblige à mesurer non seulement les volumes mais encore la nature des documents et leurs dates, la proportion qui est communicable ou non communicable, l’état de classement et d’inventaire.
Essai de définition des archives historiques
Dans mon Nouveau glossaire de l’archivage (2010), je donne la définition suivante des archives historiques : Documents qui constituent les sources originales de la connaissance du passé d’une institution, d’une entreprise, d’une famille ou d’une personne ».
Par comparaison avec les définitions précédentes, j’insiste sur deux points :

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d’une part le caractère original des documents (je ne précise pas mais on peut comprendre original par opposition à copie, mais également original en termes de contenu, quelle que soit la forme diplomatique) ;
d’autre part, le « complément d’objet » de l’expression « archives historiques » : les archives historiques de quoi ? Ou plus exactement de qui ? Je considère qu’il n’est pas pertinent de parler des archives historiques en général, en soi, mais bien en lien avec l’entité juridique productrice de ces archives, ou au moins de la communauté ou de la personne qui en assume l’héritage : les archives historiques de la France, de l’entreprise Renault, du département de la Creuse, de la ville d’Étampes, de la commune d’Aubervilliers, de la famille d’Ormesson, de Guy Debord, etc..

Cette définition exclut délibérément les documents divers et variés collectés sur un thème donné, car ce n’est pas le thème dont parlent les archives qui font les archives mais leur provenance, leur producteur (je n’ose dire leur géniteur) dont les archives tracent l’activité.
Il n’est pas question dans cette définition non plus d’âge des archives, d’une limite temporelle qui apporterait la consécration du statut historique, une forme de « majorité historique » en quelque sorte. C’est que le caractère historique d’un document n’est pas intrinsèquement lié à son âge.
La valeur historique d’un document, en tant que source de connaissance du passé, « n’attend pas le nombre des années ». Elle peut s’apprécier au moment même de la production du document comme elle peut n’apparaître que plus tard, à la lumière d’événements ultérieurs.
La définition de ce qui est historique ou non relève parfois de critères objectifs mais plus souvent de critères  subjectifs ou relatifs. Les décisions des instances dirigeantes ou les brevets d’une entreprise sont historiques du simple fait qu’ils jouent un rôle majeur dans l’exercice des activités de l’institution ou de l’entreprise. En revanche, des dossiers d’études ou des correspondances n’auront pas la même couleur selon la politique du propriétaire ou du gestionnaire des archives, ou en fonction de l’éclairage donné par les  tendances de l’historiographie, laquelle évolue avec les générations. De même, le poids historique d’un dossier isolé n’est pas le même que le poids historique d’un dossier dans une série de 1000 dossiers issus du même processus.
En résumé, est historique ce que le responsable des archives historiques a estimé être historique, avec trois facteurs-clés :

le caractère officiel ou non des documents (les documents officiels sont beaucoup faciles à trier) ;
le rattachement hiérarchique du responsable qui opère la sélection (archives historiques gérées dans l’institution ou archives historiques recueillies dans un service public d’archives) ;
le temps qui s’est écoulé entre la production et la sélection (atout du recul).

Ainsi que je l’ai mentionné plus haut, la qualité d’archives historiques est complètement dissociée des critères d’accessibilité (au sens de droit d’accès et non de possibilité technique de repérage) ; le terme de communicabilité serait d’ailleurs plus approprié ici.
Ceci dit, peut-on se contenter de qualifier un ensemble de documents d’archives historiques sans décrire davantage la nature de la collecte et de la sélection ?
La théorie des quatre-quarts
C’est en m’efforçant de répondre à cette question que j’ai élaboré la théorie des quatre-quarts dans la constitution d’un fonds d’archives historiques.
Ma première réflexion, qui remonte à 2005, m’avait conduite à diviser tout fonds d’archives historiques en fonction de la provenance des documents, avec deux grandes composantes :

les trois-quarts des archives sont des documents de preuve, de traçabilité ou de mémoire métier issus des activités de l’entreprise ou de l’organisme producteur, autrement dit des documents soumis à des durées de conservation énoncées et gérées par le producteur, que ces durées soient échues ou non ;
le dernier quart est constitué par des documents « périphériques », qui auraient pu ne pas exister, ou qui auraient pu ne pas être conservés, potentiellement produits ou reçus hors de l’institution  ou de l’entreprise en question et que le responsable du fonds d’archives (l’archiviste) collecte dans son réseau, grâce à son expertise et à son intuition : dossiers personnels ou semi-personnels de dirigeants, de secrétaires, d’agents techniques ou de chercheurs, ou documents collectés à l’extérieur de l’institution ou de l’entreprise.

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C’est pourquoi j’avais d’abord appelé ma théorie la théorie des 75-25.
Mais en analysant plus à fond le mode de collecte des 75%, je parviens à trois parts distinctes :

les documents officiels (engageants, probants) majeurs, historiques par nature et publics (librement accessibles ou communicables) dès leur production ;
les documents engageants ou stratégiques et donc la valeur historique est détectable dès la création mais confidentiels (les contrats, les courriers, certains rapports) ;
les documents secondaires sont la valeur historique potentielle ne peut apparaître qu’avec le recul du temps et les documents sériels qui ne présentent pas d’intérêt à être conservés en totalité.

Avec les documents « périphériques », il y a donc bien quatre-quarts d’archives historiques.
Il est évident que les quatre quarts ne sont pas et n’ont pas à être équivalents en termes de volumes physiques. La théorie vise à structurer la constitution du fonds d’archives historiques et les modalités de mise en œuvre de la collecte et de la conservation. Plus précisément, cette approche veut mettre en évidence les compétences et les responsabilités associées à la gestion archivistique de chaque quart.
Théorie des quatre-quarts et modalités d’application
1. Documents officiels majeurs et publics
Ces documents sont constitutifs des archives historiques dès leur publication ; ils peuvent éventuellement rejoindre physiquement le fonds d’archives historiques très vite dans la mesure où il y a soit plusieurs exemplaires à la production, soit on peut considérer que l’original va aux archives et que les services travaillent avec une copie.
2. Documents engageants et confidentiels
Ces documents sont gérés conformément au référentiel de conservation de l’entreprise ou de l’organisme, selon la politique d’archivage mise en œuvre ; ils rejoindront les archives historiques quand leur caractère confidentiel sera levé ou, plus facilement, à la fin de leur durée de conservation en application des risques de non-disponibilité ou des besoins métiers.
Le conseil de l’union européenne a fixé cette intervention à trente ans après la production, sauf cas spécifique de protection des personnes et institutions.
3. Autres documents à valeur de preuve ou d’information
C’est le « quart » le plus délicat à gérer ; les documents sont identifiés, pendant leur cycle de vie au sein de l’entreprise ou de l’organisme, comme portant une éventuelle valeur historique, ce qui soumet leur sort final à échéance de la durée de conservation au regard expert d’un archiviste qui opérera la sélection.
Le conseil de l’union européenne a fixé cette intervention à quinze ans après la production.
4. Documents « périphériques »
Collecte active, comparable à celle d’un conservateur de musée qui doit repérer les plus belles pièces qui valoriseront sa collection, car les archives historiques sont une collection, dans un périmètre délimité par la provenance.

Article publié dans Défintions, Méthodologie ; mots-clés archives historiques, définition, méthodologie, sélection, théorie des quatre-quarts le 24 avril 2013 par Marie-Anne CHABIN.

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